Le cave se rebiffe – Point de départ
Le générique commence. Une main précise réalise une gravure. Le thème musical composé par Francis Lemarque et Michel Legrand se fait entendre, joyeux et virevoltant. La caméra se pose ensuite au Paradis de l’occasion : « achat, vente, échange, partez dans votre américaine avec 1000 nouveaux Francs comptant ». Le slogan est prometteur, la réalité l’est moins. L’endroit tient plus de la casse que de la concession. Le patron est sur son 31. Son ouvrier lui réclame du pognon. Manifestement, il a mieux à faire. Une femme l’attend. La femme d’un autre. Mais qui est donc ce patron bellâtre ? Pour ça rien ne vaut la description de Bernard Blier en voix off : « Parce que j’aime autant vous dire que pour moi Monsieur Éric avec ses costards tissés en Écosse à Roubaix, ses boutons de manchettes en simili et ses pompes à l’italienne fabriquées à Grenoble, et ben c’est rien qu’un demi-sel. Et là, je parle juste question présentation. Parce que si je voulais me lancer dans la psychanalyse, j’ajouterais que c’est le roi des cons. Et encore les rois, ils arrivent à l’heure. Parce que j’en ai connu moi, mon cher Maître, des rois, et puis pas des petits. Les Hanovre, les Hohenzollern. Rien que du micheton garanti croisade. » Ça vous pose un homme, n’est-ce pas ? Monsieur Eric doit du pognon à deux acolytes : Charles Lepicard (Bernard Blier), ancien directeur de maison close contraint par la législation au chômage technique et Lucas Malvoisin (Antoine Balpêtré), un notaire aux méthodes douteuses. Cependant, il a une meilleure idée, se lancer dans la fausse monnaie, le « faux talbin » comme on dit dans les milieux autorisés. Pour cela, il a déniché un graveur hors pair, un « cave » (type qui n’est pas au courant des agissements interlopes) en la personne du mari cocufié.

Le cave se rebiffe – Critique
Cette formidable comédie de gangsters ne brille par son scénario qui pourrait tenir sur un post-it. C’est une histoire d’arnaque classique qui nous surprend à la fin, sans non plus nous étourdir de rebondissements. Point à la ligne.
La grande force du film est dans sa langue. Une langue inventée par le génie Michel Audiard. C’est un argot sublimé, incroyablement original, une langue à part entière. Les répliques, les mots d’esprits, les envolées fusent… À tel point qu’un seul visionnage ne suffit pas pour en capter toute la profondeur et la drôlerie. Entre Blier qui joue le tenancier de « claque » fripon, Gabin en roi du billet truqué grand seigneur, Franck Villard en malfrat du dimanche, Françoise Rosay fleuriste mélancolique… L’amoureux du verbe a de quoi se repaître. Quel plaisir à entendre ! L’écriture d’Audiard est une musique dont on ne se lasse pas. Elle est pensée pour les comédiens, pour leur emploi. Tout devient naturel. Comme si la phrase jouée avait été mâchonnée depuis des années. Le comique d’Audiard est un comique de rupture, d’esprit, de langue. Ce n’est pas un comique de situation, comme peut l’être un film de Francis Veber. Chez Audiard, le verbe arrête l’action, on écoute les comédiens parler, on se laisse happer par leurs délicieux aphorismes. L’intrigue vient au second plan. Elle n’est pas essentielle. C’est le cas bien entendu dans Le cave se rebiffe, mais aussi dans Les Tontons flingueurs, Cent mille dollars au soleil ou dans d’autres longs-métrages. D’ailleurs Audiard fut un brillant dialoguiste mais un scénariste de moindre envergure, et un réalisateur moyen. Chez lui il y a toujours cette envie du bon mot, même si cela coupe le rythme du film. Qu’importe après tout, puisqu’on en redemande ! Le cave se rebiffe est une succession de dialogues aux petits oignons. Chaque fois que je le regarde, je découvre une petite phrase, une trouvaille, une expression. C’est sûrement la marque des grands films que de proposer à l’œil un plaisir sans cesse renouvelé.
Le cave se rebiffe (1961) réalisé par Gilles Grangier avec Jean Gabin, Maurice Biraud, Bernard Blier, Martine Carol, Françoise Rosay…
Pour changer, un petit extrait fort sympathique :