French Connection – Point de départ
Le générique s’installe. Des lettres blanches sur fond noir. La musique inquiétante de Don Ellis. Puis on débarque à Marseille (orthographié Marseilles, chose étrange). On est sur le port. Un homme sort d’un bâtiment, en train de bouffer une pizza. Il veut paraître détaché, mais en réalité il surveille quelque chose ou quelqu’un. Ce quelqu’un est un français soupçonné de diriger un très gros trafic d’héroïne. Il s’appelle Alain Charnier. La personne qui le surveille est un flic. En rentrant chez lui, un journal sous le bras et une baguette à la main (normal, c’est un français), ce flic se fait descendre en pleine face par un tueur au visage dénué d’émotion. Sans cœur mais avec un estomac, car il prend quand même un bout de baguette sur le cadavre.

French Connection – Critique
Les premières minutes de ce grand classique du film policier donnent tout de suite le ton : réalisation « documentaire », caméra à l’épaule, réalisme, violence… Dans la façon d’appréhender le sujet de la criminalité, French Connection est l’antithèse du Parrain. Ces deux films sont sortis à six mois d’écart. Octobre 71 pour French Connection. Mars 72 pour Le Parrain. Deux films aux styles radicalement différents. L’énergie de French Connection avait déprimé Francis Ford Coppola, réalisateur du Parrain : « Je me suis planté. J’ai pris un roman populaire, bon marché et salace et j’en ai tiré quoi ? Une bande de types assis dans des pièces sombres en train de causer. » Son assistant monteur, enthousiasmé par French Connection, n’avait même pas cherché à lui remonter le moral. Il s’est juste contenté de dire : « Ouais, c’est ce que tu as fait ». L’anecdote est savoureuse lorsque l’on connaît le destin du Parrain.
Revenons à French Connection. Derrière la caméra, c’est William Friedkin. C’est ce film qui le propulsera comme une des figures principales d’Hollywood. Avant cela, il était vu comme un réalisateur intello, pétri par la Nouvelle Vague, comme beaucoup de ces collègues. C’est le grand Howard Hawks (Rio Bravo, Le Grand Sommeil, Hatari !, Scarface, Les hommes préfèrent les blondes…), qui était à l’époque le père de sa petite amie, qui lui dit de changer son fusil d’épaule : « Je ne sais pas pourquoi tu fais des films comme ça. Les gens n’en ont rien à foutre des problèmes des autres, de toutes ces merdes psychologiques. Ce qu’ils veulent, c’est de l’action. Chaque fois que j’ai fait un film qui bougeait, avec plein de bons et de méchants, ça a eu beaucoup de succès. Enfin, je te fis ça, tu en fais ce que tu veux. » Pour Friedkin, ce fut une sacrée claque : « Ses paroles sont restées gravées en moi. Je courais alors le risque de m’embarquer dans des films à la Miramax avant Miramax, le genre de truc qui ambitionne de finir au Louvre. La vérité, c’est qu’il fallait faire des films pour divertir les gens, et si ce n’était pas le cas, l’objectif principal n’était pas atteint. Ce jour-là, ça a été comme si quelqu’un m’avait donné une clé alors que j’ignorais jusqu’à l’existence d’une serrure. Et ça a donné French Connection. »

Le film est adapté d’un roman de Robin Moore, inspiré d’une histoire vraie (le démantèlement d’un trafic de drogue par la police new-yorkaise). Le bouquin est un immense succès mais personne ne veut se coltiner une adaptation. Le producteur de Bullit, Philip d’Antoni décida de mettre Friedkin sur le coup. La Fox met deux millions sur le film. Ce qui n’est rien du tout. Mais Friedkin est prévenu : « Si vous foirez le truc, on se retrouvera avec un épisode de série télé, ni plus ni moins. »
William Friedkin va donc à partir de ce matériau créer un film hors-norme sur bien des points. Tout d’abord il va construire un personnage principal si entier, si contrasté, qu’il est impossible de le ranger dans une case. Violent, obsessionnel, courageux presque fou… Popeye est un flic inoubliable. Il est tout en même temps et provoque chez le spectateur un paquet d’émotions. On l’adore ou on le déteste. Les deux sont possibles. On voit ici la volonté de Friedkin de couper les ponts avec les schémas traditionnels hollywoodiens du policier redresseur de torts. Popeye est un flic, un très bon flic, mais il aurait pu tout aussi bien être de l’autre côté de la barrière. Et c’est ce qui rend le personnage fascinant : cette dualité, cette nuance…
L’autre grande caractéristique de French Connection est sa réalisation. Friedkin va prendre le parti du « documentaire ». Il est habité par l’envie de proposer un spectacle réaliste où le spectateur est plongé dans les entrailles de la pègre de façon presque organique. Cela se traduit par une caméra souvent à l’épaule, qui suit en plan serré l’action des protagonistes. Les morceaux de bravoure sont des courses-poursuites échevelées dans les rues de New-York, dont une est un sommet de cinéma. C’était la volonté de Philip d’Antoni, qui ne jurait que par la course-poursuite de Bullit, que d’en voir une dans French Connection. Le résultat est vertigineux et viscéral. Il y a quelque chose de profondément naturel, qui renforce totalement la vérité du propos.
C’est là toute la force de French Connection : un propos sans fioritures, taillé à la serpe, où le spectateur n’est pas encombré de dialogues ou de scènes sans intérêt. Tout est fait pour l’action. C’est un morceau de musique bruyant et saisissant, sans temps mort.
Tourné en cinq semaines, ayant coûté 1,8 million de dollars, French Connection totalisera près de 80 millions de dollars de recettes mondiales, et il remporta cinq Oscars dont celui de meilleur acteur pour Gene Hackman et meilleur réalisateur pour Friedkin. Sa vie fut changée à jamais : « Le lendemain, je suis allé voir un psychiatre, pour la première et la dernière fois. J’étais profondément malheureux. Je lui ai dit que j’avais gagné un Oscar et que je trouvais que je ne méritais pas tant d’honneur. Après tout, je n’avais pas fait ni la 7e Symphonie de Chostakovitch, ni une symphonie de Beethoven ! Le type n’a pas dit un seul mot, il a passé son temps à prendre des notes sur un bloc de papier jaune. L’heure a passé et je suis parti. »
N.B. : Les différentes citations sont issues du livre de Peter Bisking, Le Nouvel Hollywood. C’est un livre que je recommande pour qui s’intéresse à ce point de bascule du cinéma hollywoodien. Malgré des positions parfois radicales sur le cinéma que je ne partage pas (notamment le mépris de l’auteur pour le cinéma populaire) c’est une véritable mine d’informations.
French Connection (1971) de William Friedkin avec Gene Hackman, Fernando Rey, Roy Scheider…
Pour ceux qui aiment les bandes-annonces :
